Je reviens à la gare un peu plus tard pour acheter un billet. Le système
de réservation est informatisé mais il n'y a pas de borne automatique
comme en France. Quand on arrive au guichet après une attente souvent longue il
faut déjà savoir ce que l'on veut et avoir rempli une fiche à cet
effet. Le plus simple pour connaître les horaires est d'avoir la bible, la
revue "Trains at a glance" qui répertorie toutes les lignes avec les heures
de passage dans toutes les gares intermédiaires, et cela pour une période
d'un an ! Pour 25 roupies il ne faut pas se priver même si ca fait un peu lourd
dans le sac.
Le train étant plein je suis sur liste d'attente et je dois revenir deux heures
avant le départ m'enquérir des désistements. Heureusement il y en a
eu et j'ai donc droit à une couchette.
L'étape suivante est de monter dans le bon train. Aucun affichage n'est mis à
jour. Seul un grand panneau statique, en hindi et en anglais, indique de quel quai partent
les trains. Le panneau n'a pas dû évoluer depuis dix ans et le mien n'y
figure pas. Heureusement un autre panneau en tête de chaque quai rappelle le
numéro et l'horaire de chaque train qui en part. En parcourant ainsi les quais
on croise des hommes qui pissent sur le ballast et des femmes qui font de même
accroupies sur les voies. J'emprunte les passerelles pour passer d'un quai a l'autre
mais la majorité des gens traversent les voies et les trains arrêtés,
entrant par une porte et sortant par l'autre, car les portes des trains sont
ouvertes des deux côtés en Inde, parfois même pendant qu'il roule.
Je finis par trouver le bon quai mais ce n'est pas parce qu'un train part du bon quai
à l'heure prévue qu'il s'agit du bon train, j'en ai déjà
fait l'expérience une fois. Ce peut être le train précédent
en retard de deux heures, piège redoutable car les affichages ne sont jamais mis
à jour. Par chance cette fois j'ai une réservation et donc mon nom se trouve
sur une feuille scotchée sur le wagon qui m'est assigné. Plus d'erreur possible.
Prendre le train en Inde est toujours une expérience, surtout en seconde classe.
On s'entasse à cinq ou six sur une banquette prévue pour quatre, chacun
étendant ses jambes sur son vis-à-vis. Un vrai jeu de mikado. Il y a
autant de personnes assises sur les
étagères à bagages que sur les banquettes. Une fois tout le monde
rentré les derniers arrivés se serrent dans le couloir et on entasse les
bagages devant la porte pour faire de la place dans l'allée. Impossible de sortir
en cas de problème.
La sortie justement est sportive. Il faut commencer par dégager les issues cinq
minutes avant l'arrivée en gare, ouvrir la porte bien en avance et pousser de
toutes ses forces car les gens sur le quai essaient d'entrer alors que le train roule
encore et que les autres ne sont pas encore sortis. Pas évident avec un gros sac
mais j'ai trouvé la technique : je me laisse tomber du marchepied sur la foule
en contrebas. Ils finissent toujours par s'écarter sous le poids.
Les chemins de fer indiens sont le plus important employeur du monde avec 1,6 million
de salariés. Il faut bien tout ce monde pour entretenir les 60 000 km de voie
ferrée et faire voyager quotidiennement plus de 11 millions de personnes.
C'est aussi une bureaucratie très lourde et il faut par exemple signer un formulaire
et trois registres pour se faire rembourser un billet. Bref les chemins de fer sont
à l'image de l'Inde : démesurés, surpeuplés et édifiants.