Ahmedabad (Inde), le 19/01/02

En Inde une gare est un monde en soi. Je suis arrivé à 6h30 dans celle d'Ahmedabad suite à un voyage de nuit digne des meilleures pubs Orangina (secouez-moi). A cette heure la gare est encore sombre et il faut faire attention de ne pas marcher sur les gens qui dorment sur les quais. Même spectacle dans le hall principal : des dizaines de personnes sont enroulées dans une couverture sale. Il n'y a pas que des sans abris. Certains voyageurs ont aussi choisi cette solution plus économique qu'un hôtel. Pourtant à l'étage se trouvent des dortoirs à 50 roupies, soit un peu plus d'un euro pour parler moderne. Vient le balayeur qui réveille ce petit monde au fur et à qu'il progresse dans le hall, courbé en deux à manier son balais sans manche fait de brindilles. Certains clochards, adeptes du travail à domicile, commencent à mendier dans la gare. Les enfants pieds nus rassemblent des détritus pour allumer sur le trottoir le feu sur lequel la mère fait réchauffer la bouillie pour le petit-déjeuner. La plupart quittent les lieux en direction du centre-ville dans l'espoir de gagner les quelques roupies qui les feront manger un jour de plus.

Je reviens à la gare un peu plus tard pour acheter un billet. Le système de réservation est informatisé mais il n'y a pas de borne automatique comme en France. Quand on arrive au guichet après une attente souvent longue il faut déjà savoir ce que l'on veut et avoir rempli une fiche à cet effet. Le plus simple pour connaître les horaires est d'avoir la bible, la revue "Trains at a glance" qui répertorie toutes les lignes avec les heures de passage dans toutes les gares intermédiaires, et cela pour une période d'un an ! Pour 25 roupies il ne faut pas se priver même si ca fait un peu lourd dans le sac.
Le train étant plein je suis sur liste d'attente et je dois revenir deux heures avant le départ m'enquérir des désistements. Heureusement il y en a eu et j'ai donc droit à une couchette.
L'étape suivante est de monter dans le bon train. Aucun affichage n'est mis à jour. Seul un grand panneau statique, en hindi et en anglais, indique de quel quai partent les trains. Le panneau n'a pas dû évoluer depuis dix ans et le mien n'y figure pas. Heureusement un autre panneau en tête de chaque quai rappelle le numéro et l'horaire de chaque train qui en part. En parcourant ainsi les quais on croise des hommes qui pissent sur le ballast et des femmes qui font de même accroupies sur les voies. J'emprunte les passerelles pour passer d'un quai a l'autre mais la majorité des gens traversent les voies et les trains arrêtés, entrant par une porte et sortant par l'autre, car les portes des trains sont ouvertes des deux côtés en Inde, parfois même pendant qu'il roule. Je finis par trouver le bon quai mais ce n'est pas parce qu'un train part du bon quai à l'heure prévue qu'il s'agit du bon train, j'en ai déjà fait l'expérience une fois. Ce peut être le train précédent en retard de deux heures, piège redoutable car les affichages ne sont jamais mis à jour. Par chance cette fois j'ai une réservation et donc mon nom se trouve sur une feuille scotchée sur le wagon qui m'est assigné. Plus d'erreur possible.

Prendre le train en Inde est toujours une expérience, surtout en seconde classe. On s'entasse à cinq ou six sur une banquette prévue pour quatre, chacun étendant ses jambes sur son vis-à-vis. Un vrai jeu de mikado. Il y a autant de personnes assises sur les étagères à bagages que sur les banquettes. Une fois tout le monde rentré les derniers arrivés se serrent dans le couloir et on entasse les bagages devant la porte pour faire de la place dans l'allée. Impossible de sortir en cas de problème.
La sortie justement est sportive. Il faut commencer par dégager les issues cinq minutes avant l'arrivée en gare, ouvrir la porte bien en avance et pousser de toutes ses forces car les gens sur le quai essaient d'entrer alors que le train roule encore et que les autres ne sont pas encore sortis. Pas évident avec un gros sac mais j'ai trouvé la technique : je me laisse tomber du marchepied sur la foule en contrebas. Ils finissent toujours par s'écarter sous le poids.
Les chemins de fer indiens sont le plus important employeur du monde avec 1,6 million de salariés. Il faut bien tout ce monde pour entretenir les 60 000 km de voie ferrée et faire voyager quotidiennement plus de 11 millions de personnes. C'est aussi une bureaucratie très lourde et il faut par exemple signer un formulaire et trois registres pour se faire rembourser un billet. Bref les chemins de fer sont à l'image de l'Inde : démesurés, surpeuplés et édifiants.