L'Iran aujourd'hui


        L'Iran n'a pas bonne réputation. Et pour cause. Les femmes se revêtent du tchador, symbole pour l'occidentale de soumission et d'abaissement.  Les touristes doivent porter le foulard ou rester chez elles, le comble de l'atteinte à la liberté individuelle. Si les femmes n'ont pas le droit d'être coquettes, les hommes ne peuvent pas s'amuser. Aucune boîte de nuit, ni même de bar ou de cafés. Les films dans les cinémas sont essentiellement iraniens, et les séances semblent avoir lieu l'après-midi car les salles sont fermées en soirée. Bref, si vous voulez passer des vacances style "club Med", mieux vaut choisir une autre destination.
        Mais laissons de côté un instant notre logique cartésienne et nos valeurs occidentales. On pourrait énumérer pendant des pages les interdits. L'Iran est une dictature, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Il manque à ce pays beaucoup de plaisirs et de biens matériels, mais les Iraniens ont beaucoup de choses à nous donner.
         On parle souvent de l'accueil chaleureux des orientaux. Cette qualité n'est justifiée nulle part mieux qu'en Iran. Les gens de la rue sont à votre service. Même s'ils sont perdus comme vous, ils vont chercher à vous aider. Leur regard est rempli du désir de bien faire. Un Iranien parlant français nous a guidé dans notre découverte de Shiraz, malgré sa violente migraine. Un étudiant en anglais s'est improvisé guide de Yazd, puis nous a invité dans sa famille pour dîner et passer la nuit. J'ai, à cette occasion, pu rencontrer des adolescentes iraniennes. Totalement effacées dans le salon où tout le monde était réuni, je les ai vues dans un cadre différent, totalement familier pour elles : la cuisine, où se retrouvent toutes les femmes de la maison. Là, on se met à l'aise, les cheveux débordent négligemment du voile, les fou-rires fusent, les langues se délient dans un anglais tâtonnant, un sentiment amoureux se découvre. La cousine est amoureuse du cousin, ou l'inverse. Car on s'aime en Iran, pour peu que les parents laissent un peu de choix à leurs enfants. On s'aime en Iran, et peut-être même mieux qu'en Europe. On s'aime d'un amour platonique jusqu'à ce que l'imam ait béni l'union. Mœurs désuets, certes, mais qui gardent une certaine fraîcheur. La libéralisation des mœurs en Occident a conduit à des excès qui effrayent les pays islamistes. Ceux-ci, par réaction, s'enferment également dans des attitudes excessives et déplacées : interdiction du concubinage et de l'homosexualité, sévèrement réprimés, ségrégation sexuelle quasi-complète de la société (parties hommes/femmes distinctes dans les bus urbains par exemple).
        La deuxième image stéréotypée que l'occidental se fait de l'Iran est celle d'un pays fanatisé par l'Islam. Il est vrai que l'ayatollah Khomenei, que beaucoup admirent encore jusqu'à la vénération, a tout fait pour donner cette image obscurantiste. La quasi-totalité de la population est musulmane chiite. Le relativisme, "chacun pense ce qu'il veut, chacun ses valeurs, toutes les religions se valent", et l'athéisme, sont deux modes de pensée totalement étrangers aux Iraniens. D'où le divorce profond avec les occidentaux qui taxent immédiatement de fanatique un croyant sûr de sa foi. Là encore, l'une et l'autre attitude sont excessives. Ces réserves émises, les Iraniens montrent une ouverture d'esprit assez surprenante pour les autres croyants monothéistes, en particulier les chrétiens et les zoroastriens (adorateurs du Dieu Mazda, révélé par le prophète Zarathoustra). Ces religions non seulement sont autorisées mais respectées et considérées comme étant une part de la Révélation divine, qui ne se serait achevée qu'avec Mahomet. Il est touchant d'entendre les Iraniens vous parler du Pape Jean-Paul II qu'ils semblent apprécier davantage que nous le faisons ! Le gouvernement réformateur de Khatami cherche à entamer un dialogue interreligieux et les journaux ne manquent pas de saluer cette initiative. Un bémol toutefois : les juifs ne semblent pas bénéficier de la même considération, les Iraniens désignant l'état d'Israël comme "le pays le plus détesté au monde" (les Etats-Unis ont l'honneur d'occuper la deuxième place de ce classement, les Britanniques devant se contenter de la médaille de bronze).
        Les Iraniens sont contradictoires, ce qui chagrinera les esprits cartésiens et rationalistes. Fiers de leur pays, de leur religion et de leurs dirigeants, ils aspirent néanmoins, on les comprend, à plus de liberté. Puissent-ils la conquérir, tout en conservant leur innocence, leur fraîcheur et l'ensemble de leurs valeurs comme un trésor.